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À vos Droits et vos Bourses

Par Pierre-Stanley PÉRONO, novembre 2013


« Je citerai ce qu'on raconte de Thalès de Milet ; c'est une spéculation lucrative, dont on lui a fait particulièrement honneur, sans doute à cause de sa sagesse, mais dont tout le monde est capable. Ses connaissances en astronomie lui avaient fait supposer, dès l'hiver, que la récolte suivante des olives serait abondante ; et, dans la vue de répondre à quelques reproches sur sa pauvreté, dont n'avait pu le garantir une inutile philosophie, il employa le peu d'argent qu'il possédait à fournir des arrhes pour la location de tous les pressoirs de Milet et de Chios ; il les eut à bon marché, en l'absence de tout autre enchérisseur. Mais quand le temps fut venu, les pressoirs étant recherchés tout à coup par une foule de cultivateurs, il les sous-loua au prix qu'il voulut. Le profit fut considérable ; et Thalès prouva, par cette spéculation habile, que les philosophes, quand ils le veulent, savent aisément s'enrichir, bien que ce ne soit pas là l'objet de leurs soins... »  

ARISTOTE, La Politique, Livre I, Chapitre IV, §5, Traduction française : Jules BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE, Librairie Philosophique de Ladrange, 1874. 



INTRODUCTION 

1. Du double tranchant des produits dérivés 

Qui d’entre nous s’attendrait à retrouver un matin la baguette de la boulangerie du quartier dans le système informatisé et dématérialisé de la bourse de Paris ? C’est pourtant de quoi semble s’étonner Harald SCHUMANN dans les termes suivants : « Que fait le pain à la bourse ? »1Certes, l’expression n’est pas à prendre au mot. Mais l’oxymore est tranchant et permet à l’auteur d’épaissir son propos en force de persuasion. On l’aura compris, le pain à la bourse ce sont les contrats financiers2 sur matières premières que l’auteur pointe du doigt, notamment en raison de leurs effets néfastes sur l’économie réelle3. D’autres, en 2003 déjà, poussaient la critique plus loin pour qualifier les produits dérivés en général d’ « armes de destruction massive »4Peut-être est-ce à raison. 

En effet, les produits dérivés, contrats dits financiers, dont la valeur est liée et varie en fonction de la valeur d’un actif sous-jacent5, ont été au cœur de la plupart des grandes crises financières, dont celle de 2008. Certes, la crise des subprimes6 puise avant tout sa source dans la titrisation, technique qui a permis la conversion en risque de marché du risque de crédit relatif à des prêts hypothécaires accordés à « une clientèle présentant un historique de crédit détérioré ou une faible solvabilité »7. S’en est suivi une chute des prix sur le marché immobilier, elle-même résultant de la vente des biens immobiliers par les emprunteurs, incapables d’honorer leurs dettes du fait de l’augmentation des taux de remboursement. Une conséquence de cette baisse significative des prix a été l’impossibilité pour les banques de récupérer leurs créances sur le produit des ventes des biens immobiliers financés par les prêts. De là est partie la crise. Mais le risque de crédit ayant été transformé en risque de marché, la crise du crédit s’est propagée au marché financier, entrainant toute une série de faillites. C’est alors que sont entrés en scène les produits dérivés, en la personne des dérivés de « Crédit Default Swaps » (CDS) 8pour accentuer les méfaits de la crise. En effet, lors de la faillite de Lehman Brothers en septembre 20089, « la plupart des autres grands dealers ont subi des pertes de l’ordre de centaines milliards de dollars chacun, leurs portefeuilles de dérivés se trouvant en déséquilibre du fait de la disparition des contrats de gré à gré conclus avec Lehman Brothers »10. En plus des pertes engendrées par l’interconnexion entre les acteurs sur les marchés des CDS, des coûts supplémentaires ont dus être engagés par les dealers11, en vue de remplacer ces contrats indispensables. En effet, bien que relayeurs de risques, ces derniers peuvent aussi servir de couverture contre les risques. 

En effet, qui s’intéresse à l’histoire de ces instruments sait qu’à l’origine ils ont été conçus dans le but de permettre à un acteur, intervenant sur un marché, de se prémunir contre un risque (notamment celui de l’évolution des prix de vente ou d’achat d’un produit). Le temps étant de l’argent12, pour éviter d’en perdre il s’agissait de soustraire le prix des marchandises à ses caprices. Le mécanisme consiste pour le souscripteur d’un contrat à s’engager dans un lien d’obligation ou à acquérir un droit à un prix fixé au jour de la conclusion du contrat, mais à reporter l’exécution de cette obligation ou l’exercice de ce droit à une date ultérieure déterminée. 

Soit A un producteur qui craint un retournement du marché pendant l’année, et veut s’assurer contre une baisse du prix de ses produits. Il peut acheter une option à B, c’est-à-dire le droit, moyennant versement d’une prime, de réclamer de ce dernier qu’il achète ses produits à un prix et une date prédéterminés. B, de son côté propose des options pour chaque mois de l’année en cours. Suite à ses recherches et demandes d’information sur les prévisions pour l’année N, A décide qu’il serait prudent d’acheter l’option proposée par B pour le mois de janvier de l’année N. La recherche d’information à la base de la décision de contracter a coûté à A la somme de 5 euros. Le prix de l’option (prime) est de 1 euro et donne à A le droit de réclamer l’achat de ses produits en janvier N au prix prédéterminé de 20 euro (prix d’exercice). En janvier N, s’il advient que le prix du marché est de 10 euros, A exercera l’option, vendra pour 20 euros, soit une différence de 10 euros supplémentaires par rapport au prix du marché. Pour calculer son bénéfice (4 euros), il faudra encore retrancher, de ces 10 euros la somme de 6 euros (soit 1 euro pour la prime et 5 euro correspondant au coût de l’information). 

Admettons qu’en même temps B avait acheté à C le droit de lui réclamer l’achat des mêmes produits pour un prix de 23 euros, moyennant une prime de 1,5 euros. B a donc pris envers C une position contraire à celle prise vis-à-vis de A. En fin de compte, B exercera l’option détenue sur C. Il encaissera alors un gain de 1, 5 euros, soit 23-(20+1,5). Sans doute que C aura pris des positions inverses à celles prises à l’égard de B, et la chaîne pourra ainsi se poursuivre à l’infini sur un marché. Le mécanisme a été décrit par Antoine GAUDEMET pour d’autres types de contrat, tel le contrat à terme sur indice : « Primus, qui a un portefeuille d’actions françaises et veut se protéger contre une baisse de l’indice CAC 40 en deçà du seuil de 5 000 points dans trois mois, peut obtenir de Secundus qu’il lui paie une somme déterminable, pour le cas où l’indice CAC 40 se révélerait inférieur à 5 000 points. »13

S’agirait-il d’un « contrat à terme sur écart de crédit (credit spread forward), Primus, endetté à taux variable, [pourrait alors] se protéger contre le risque que le taux de sa dette s’écarte du taux de rendement d’un titre d’Etat, dont il perçoit les revenus par ailleurs. A l’échéance du terme, Primus et Secundus relèveront la différence entre l’écart fixé dans leur contrat et l’écart constaté sur le marché : si cette différence est positive [..] Secundus paiera à Primus une somme déterminable ; si cette différence est négative [...] Primus paiera une somme déterminable à Secundus. »14. 

Ce dernier exemple est caractéristique de la complexification de la technique des dérivés, mais aussi de la diversification des éléments sous-jacents sur la valeur desquels portent ces contrats. A cela s’ajoute le volume des transactions qui a considérablement augmenté avec le temps, pour atteindre des montants gigantesques depuis la fin des années 80. L’essentiel de ces transactions portent sur une catégorie particulière de produits dérivés, dits produits dérivés OTC over-the-counter »), dont le marché est très concentré15. L’interconnexion y est donc intense, facilitant la propagation des risques16. D’où la nécessité, qui fait désormais consensus, de les réformer. 

2. De la nécessité de réformer les produits dérivés OTC 

Tirant les conséquences de la crise financière de 2008, au Sommet du G20 de septembre 2009 à Pittsburg17, les Etats se sont engagés, entre autres, à réformer le droit des produits dérivés OTC. L’objectif général est celle d’une amélioration18 des marchés où s’échangent ces produits dérivés, pour les rendre aussi sûrs que ceux où sont négociés les produits dérivés dits listés19

La classification des produits dérivés en dérivés listés et dérivés OTC n’en est qu’une parmi d’autres. En effet, il est aussi d’usage de distinguer selon les modalités des obligations résultant du contrat. A ce titre, le contrat à terme ferme se distingue de l’option, le premier étant l’engagement d’acheter ou de vendre un actif sous-jacent à une date déterminée et pour un prix fixé au jour de la conclusion du contrat. Le second, en revanche, consiste uniquement dans le droit, contre versement d’une prime, d’acheter ou de vendre cet actif sous-jacent à un prix et une date prédéterminés. Dans les deux cas, le contrat peut écarter la livraison de l’actif sous-jacent, pour y substituer le paiement d’un prix, ou le paiement d’un prix peut s’imposer lorsque le sous-jacent n’est pas une chose dont la propriété peut être transférée. C’est le cas par exemple d’un indice ou d’un taux. Le prix substitué à la livraison s’entend généralement de « la différence entre le prix auquel l’actif sous-jacent a été négocié et le cours de liquidation auquel il a été dénoué. »20

L’actif sous-jacent sert également à la classification des produits dérivés, en produits dérivés sur marchandises (Commodity Derivatives) selon qu’ils portent sur des marchandises, ou produits dérivés sur actions (equities) suivant qu’ils prennent pour base des actions ou des actifs financiers en général. Il en existe aussi qui sont dits dérivés sur taux et dérivés sur indices. On pourrait joindre à cette liste, les exotic derivatives21, où s’arrêtera notre énumération. En effet, les produits dérivés pouvant porter sur une infinité de sous-jacents possibles (sauf exceptions), il serait judicieux de revenir au plus vite à l’objet de notre étude, les dérivés OTC

Le succès de la classification dérivés listés/dérivés OTC s’explique par le rôle joué par ces derniers dans la crise de 2008. En effet, certains dérivés sont dits « over-the-counter »(OTC), parce qu’ils sont négociés de gré à gré, et se trouvent de ce fait soustraits à un mode particulier d’exécution sécurisé des obligations : la compensation par contrepartie centrale. Cette technique que l’on retrouve sur le marché des dérivés listés (marché réglementés22 et marchés organisés23) est généralement définie comme l’interposition d’une chambre dite de compensation entre les deux parties à un produit dérivé. Cette chambre se place en qualité de vendeur face à chaque acheteur et en qualité d’acheteur face à chaque vendeur. Son but est d’enrayer le risque de contrepartie et le risque de système. 

Le risque de contrepartie est défini comme le risque que dans un contrat financier ou dans le cadre d'un instrument financier, le débiteur n'exécute pas son engagement.

Ce risque se décline en risque de liquidité lorsque le débiteur paie mais avec un certain retard par rapport au terme prévu, et en risque de solvabilité lorsque le débiteur se trouve totalement dans l'incapacité de trouver les fonds. Le risque de système (risque systémique) en finance est « le risque de déséquilibre de grande ampleur qui résulte de l’apparition de dysfonctionnements dans les systèmes bancaires ou financiers, lorsque l’interaction des comportements individuels, au lieu de déboucher sur des ajustements correcteurs, porte atteinte aux équilibres généraux »24Il s’agit en effet d’un risque de faillite en chaîne. 

Ce risque de faillite en chaine, contenu sur le marché des dérivés listés, sera désormais enrayé sur le marché des dérivés OTC par l’institution, entre autres mesures25, d’une obligation de compensation par contrepartie centrale des dérivés OTC « suffisamment standardisés »26

La normalisation ou la standardisation du contrat dérivé est la notion par laquelle le G20 distingue parmi les dérivés OTC ceux qui doivent être soumis à la nouvelle obligation de compensation. Soumettre certains dérivés OTC à l’obligation de compensation, à l’instar des dérivés listés, a pris dans certains esprits l’allure d’une véritable migration. En effet, à ce sujet, les termes choisis de l’Autorité des Marchés Financiers en France sont éloquents : « Réduire la part de l’OTC... »27 comme s’il s’agissait d’opérer un transfert. D’ailleurs, l’idée d’une migration n’est pas sans soulever la question de la distinction entre les produits dérivés OTC et les produits dérivés listés. 

En effet, la distinction fondamentale entre ces deux types d’un même instrument est au fond que les premiers, négociés de gré à gré, sont de ce fait très peu standardisés et donc impropres à la compensation, dont la réalisation appelle un minimum de normalisation, caractéristique principale des dérivés listés. Du coup, se pose la question de savoir si cette migration devrait s’analyser en une simple réduction de nombre des dérivés OTC pour une confusion de leur régime à celui des dérivés, ou devra-t-on considérer de préférence que le critère de distinction se déplace vers d’autres critères, autres que celles classiques les distinguant. 

La question est fondamentalement celle du sens de la notion de standardisation, c’est-à-dire la détermination du seuil à partir duquel un dérivé OTC, par définition non standardisé, serait en revanche suffisamment standardisé pour être soumis à l’obligation de compensation. Pour répondre à cette question, nous sommes descendus des hauteurs de la déclaration de Pittsburg, pour aller observer comment l’expression internationale28 de dérivés OTC standardisés a été retranscrite dans les différents systèmes de droit infra-internationaux, et ainsi les contours de la compensation obligatoire y attachée.

Pour y parvenir, nous avons concentré notre analyse sur la législation américaine et la législation européenne. Au point de départ de notre réflexion, se sont par conséquent trouvés deux actes juridiques : le Dodd Franck Wall Street Reform and Consumer Act de 201029 (DFA) et le European Market Infrastructure Regulation 30(EMIR). Le premier est une loi fédérale américaine, qui traite de la compensation des produits dérivés OTC en son article VII intitulé Wall Street Transparency and Accountability. Le second est un règlement du Parlement et du Conseil européen. Autrement dit, il est d’effet direct, et son contenu intègre tel quel l’ordre juridique des différents Etats membres, sans mesure de transposition nationale. Il est donc le même sur tout le territoire de l’Union Européenne.

Les deux actes précités ont fait l’objet de mesures d’application visant à préciser les obligations qu’ils font naître. Ces mesures d’application sont, essentiellement, les final rules de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) et de la Security Exchange Commission (SEC), ainsi que les normes techniques de réglementation (RTS)31 et les normes techniques d’exécution (ITS)32 adoptées par la Commission européenne sur propositions de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF/ESMA). 

Que tirer de ces textes sur lesquels a porté notre analyse ? Premier constat : contrairement à la simplicité de la notion classique de dérivés listés standardisés qui fait référence à l’existence de contrats types sur les marchés réglementés, le concept international de standardisation des dérivés OTC explose en une combinaison de critères, offrant le spectacle, du moins à première vue, d’un régime juridique fait de complexités des deux côtés de l’Atlantique. Il en résulte un régime aux contours difficilement saisissables, et en apparence étranger aux catégories juridiques conceptuels habituels. 

Faut-il se résigner et se contenter de constater, ou y-a-t-il un sens à trouver qui à la manière d’un principe directeur irradierait ce jeu de critères combinés? 

Peut-être que le champ d’application de l’obligation de compensation des dérivés OTC mime le risque systémique lui-même, dont on a relevé qu’il était insaisissable car son « évaluation [...] restait largement divinatoire »33. Tenir un tel propos paraît sensé dans la mesure c’est avant tout pour contrer le risque systémique que l’obligation de compensation par contrepartie centrale des dérivés OTC a été institué. 

Et pour preuve, dans notre quête de sens, ce dernier nous sera très utile mais pas comme l’entendions. Mieux qu’une réponse, il sera une boussole qui nous conduira en fin de compte vers l’analyse des procédures de consultations, fer de lance de la régulation des produits dérivés OTC. De ces dernières, émergera un fondement (dynamique), celui qui nous a fait passer du critère de standardisation des contrats dérivés en général à celui bien plus vivant d’éligibilité des contrats dérivés OTC, comme domaine de l’obligation de compensation par contrepartie centrale des dérivés OTC (TITRE II). Mais avant d’en arriver là, saisissons les contours de l’opération de compensation par contrepartie centrale. Contrairement au champ d’application de l’obligation, les formes de l’opération de compensation obéissent aux mêmes procédés, qu’il s’agisse de dérivés listés ou OTC, et témoignent alors de la même efficacité par rapport aux risques de contrepartie et de système (TITRE I).

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Par Pierre-Stanley PÉRONO, juin 2012

INTRODUCTION

1. De l'ombre à la lumière

«Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire: « ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile »1

C’est en ces termes que Jean-Jacques Rousseau, au XVIIIème siècle déjà, établissait un lien historique, logique et intrinsèque entre politique, pouvoir et propriété. Il n'est pas étonnant, par ricochet, de retrouver un lien de même nature entre la politique et les instruments qui permettent d’établir, de transférer, d’attribuer, voire simplement de retracer ou d’évaluer la propriété et parmi lesquels la comptabilité. En effet, plus d'un prêtent des caractéristiques hautement politiques à cette méthode de retranscription chiffrée du patrimoine et des opérations d’un acteur économique. 

Pour rester près de nous, en 2003 par exemple, dans un rapport du Conseil d’analyse économique, Jacques Mistral, au détour d’une demi-phrase, dit de la comptabilité qu’«elle est un enjeu de pouvoir»2Pourtant, elle n'est sortie que récemment de l'ombre. En effet, jusqu’au siècle dernier, la comptabilité a plutôt évolué dans une obscurité certaine, régie par des règles plus ou moins complexes (aujourd’hui et en France, le Plan Comptable Général3 et les normes IFRS4) et pour lesquelles seuls les avertis manifesteraient de l’intérêt. Retranscription chiffrée du patrimoine et des opérations économiques d’une entité, elle serait «a priori» une pure technique rationnelle, auxiliaire et ancillaire d’autres disciplines dont, notamment, la fiscalité. Comment comprendre alors, que depuis les années 2000, on ne cesse de la présenter comme une activité d’intérêt général, voire « un enjeu de pouvoir » comme dans le rapport précité? Et comment concevoir qu’une activité d’intérêt général ait pu mener aussi longtemps une existence aussi obscure? Enfin, comment expliquer qu’elle ait été propulsée en pleine zone de lumière ?

 

2. Multiplication des procédures de contrôle et progression des normes IFRS 

C'est paradoxalement un mal qui a ouvert la route à la comptabilité et lui a taillé la place qu'elle occupe dans les esprits depuis les années 2000. Qui oubliera l'affaire ENRON5 qui a montré que des manipulations dans les comptes d'une entreprise, créant ainsi une coquille vide, pouvaient aboutir à une crise retentissante? Ni les américains qui ont été directement concernés, ni les Européens qui se sont très vite vus impliqués dans des scandales similaires, ni le petit épargnant non plus qui a perdu son capital. Car, lorsque le 2 décembre 2001, la multinationale ENRON tombe en faillite, la majeure partie de ses actifs boursiers est détenue par des fonds de pension ou des fonds de mutuelles. Ce sont donc des milliers de petits épargnants, à travers le monde, qui ont vu leur vie affectée et leur avenir fragilisé à travers leur capital-retraite qui partait en fumée. La leçon a donc été claire: la comptabilité est une affaire d'intérêt général. Une discipline, le droit comptable (qui existait déjà) a tiré de cette leçon un prétexte à son développement à travers l'émergence des normes IFRS et la multiplication des procédures de contrôle de la production de l'information comptable. Certes, il a toujours existé des règles comptables, et pour preuve le Code de commerce français en contient depuis 18076. En outre, depuis 1973, existent les normes IFRS, donc un référentiel de normes comptables internationales, du moins en théorie. En revanche, ce qui est récent c'est la volonté des Etats de multiplier les procédures de contrôle de la production de l'information comptable d'une part, et d'autre part la progression des normes IFRS sur la scène internationale. D'abord, en ce qui concerne le contrôle, suite à l'affaire ENRON par exemple, les américains ont renforcé leur encadrement du contrôle légal7. Ils ont été suivis par de nombreux Etats européens, et en 2006, par l'Union Européenne elle-même, à travers la Directive Contrôle légal 20068. On serait même tenté de se demander avec Michaël Power si l'on ne versait pas dans ce qu'il appelle « l’obsession du contrôle »9

Comme nous l'avons mentionné plus haut, une même obsession, ou pour être plus précis, un succès certain gagne également les normes IFRS. En effet, après une longue traversée du désert depuis la création de l'IASB en 1973, elles ont été adoptées, en totalité ou partiellement, par un nombre important de pays entre 2008 et 2011. Avec le règlement du 19 juillet 2002, l'Europe a précédé tous ces pays. Ce règlement a rendu obligatoire l'application des normes IFRS aux comptes consolidées10 des sociétés cotées11 et des sociétés faisant une offre au public12 à partir du 1er janvier 2007. Les normes IFRS sont des normes comptables élaborées par le Bureau des standards comptables internationaux (International Accounting Standard Board ou IASB) dans le but d'harmoniser la présentation des comptes au niveau mondial, de mieux sécuriser les marchés et du même coup d'y instaurer la confiance des investisseurs professionnels13 et non professionnels. Ces objectifs passent également par les procédures de contrôle destinées à rassurer ces investisseurs sur la fiabilité de l'information comptable et financière. Sécuriser les marchés et gagner la confiance des investisseurs professionnels. Autant dire protéger et attirer ; si bien que, désormais, dans toute information comptable, il faut négocier ce paradoxe de protéger l'intérêt général (le marché, le système, le petit épargnant non averti) et séduire en même temps les investisseurs professionnels. D'où la naissance d'une information comptable d'un type nouveau que nous conceptualiserons sous l'expression « produit d'intérêt général ». Nous verrons dans une première partie que les bouleversements comptables que nous avons évoqués n'ont fait que révéler et accentuer le caractère fondamentalement politique de la comptabilité (I), depuis toujours tiraillée entre une prétendue parenté avec les sciences pures et une réelle immersion par le droit (I-A), mais aussi, et surtout, partagée entre différents intérêts contradictoires (II-B). 

Aujourd'hui, un double mouvement de financiarisation de l'information comptable et de multiplication des procédures de contrôle lui imprime la paradoxale allure d'un produit au service de l'intérêt général. 

Aussi dans un second temps, analyserons-nous la chaîne de production comptable (II), sa fin, le besoin de confiance des investisseurs (II-A) mais aussi sa rationalité toute financière, à l'ère de notre temps (II-B). 

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Pierre-Stanley PÉRONO

Pierre-Stanley PÉRONO est Avocat d'affaires. Il est également Expert en intelligence économique (titre RNCP, niveau I). Titulaire d'un Master 2 en Droit du commerce international et d'un Master 2 en Banque et Finance, il a fait du droit des sociétés civiles et commerciales son cœur de métier. Il a exercé pendant plusieurs années comme conseiller juridique au sein d'une société cotée à la bourse de Paris puis comme avocat en droit des sociétés et fusions-acquisitions au sein de plusieurs cabinets. Il est également titulaire du MBA Management Stratégique et Intelligence Economique décerné par l’École de Guerre Économique de Paris. Sa passion la plus profonde : la poésie. L'activité humaine la plus noble, selon lui : la politique.

Fabrice Samuel MONTROSE

Fabrice MONTROSE est Chargé d’Affaires Entreprises au sein d’un établissement bancaire de renom. Il est titulaire d’un Master en Management délivré par l’Ecole de Management de Normandie et d’un Master spécialisé en banque délivré par l’IUP Banque Finance Assurance de Caen. Depuis plus de dix ans, Fabrice accompagne les PME et les ETI Françaises dans leur développement en France et à l’International. Parmi ses domaines de compétences, citons le financement et la gestion du cycle d’exploitation, la gestion de trésorerie, le financement des investissements, l’ingénierie financière, le développement international et l’ingénierie sociale. Il est un passionné de cinéma et de l’Egypte Antique. Le fait historique qui lui tient le plus à cœur est la Révolution Haïtienne de Saint-Domingue.

  • Saint-Maur-des-Fossés, Île-de-France, France